
Un dirigeant ou un manager qui ne réfléchit pas à son rapport au temps et à sa maîtrise n’a aucune chance de survivre à l’intensité mentale du monde d’aujourd’hui. Le meilleur et premier moyen de ne pas risquer le burn-out, ou tout autre problème de santé à cause de son métier, c’est déjà de travailler à sa propre organisation de travail. Sur ce point, je vous conseille la lecture, ou la relecture du chapitre 3 de mon livre « le management de la complexité [1]» où j’explique l’importance pour un manager d’avoir le contrôle de son espace-temps : « Ce n’est pas le temps ou le nombre de choses à faire qui accélère qui crée la complexité, c’est la non-maîtrise de son espace-temps personnel qui génère un risque de perte de contrôle et de passage en mode complexe ». Cela commence à mes yeux par la maîtrise de l’infobésité qui nous guette en permanence. J’ai croisé il y a quelque temps un dirigeant qui avait 300 mails par jour, sans parler de ses SMS et autres WhatsApp, pure folie ! Même vingt-cinq ou trente « input » reste un chiffre déraisonnable, mais qui en reçoit moins ?
Dans une étude récente, Microsoft alerte sur « la journée de travail infinie des travailleurs du savoir ». Cette étude pose des chiffres qui confirment les intuitions, ils sont vertigineux et inquiétants alors que l’on ne peut pas soupçonner Microsoft, empereur des boîtes mails, de vouloir se tirer une balle dans le pied !
- Base : 31.000 « travailleurs du savoir » – 31 pays.
- En moyenne : 117 emails et 153 messages Teams reçus par jour par personne.
- 48 % des collaborateurs estiment que leur travail est chaotique et morcelé.
- Chacun est interrompu en moyenne 275 fois par jour / toutes les 2 minutes.
- 40 % consultent leurs emails avant 6 heures du matin.
- 29 % consultent leurs emails vers 22 heures.
- 20 % se connectent le samedi et le dimanche.
Agir sur la première cause de stress : les e-mails.
Pour les cadres, la saturation d’emails est un générateur majeur de stress. Lister les problèmes posés par une mauvaise gestion du flux d’emails fait réfléchir :
Problème de concentration : recevoir un grand nombre d’emails rend difficile la concentration et la gestion des priorités. Cela augmente le stress et l’anxiété.
Problème d’urgence : l’email a créé dans la tête de tout le monde un niveau, bien souvent inutile, d’attente élevé en matière de réactivité. Sans prise de recul, c’est un facteur supplémentaire dans la création du stress.
Problème de productivité : les notifications d’emails interrompent le flux de travail et réduisent la productivité. Ces interruptions constantes rendent difficile la réalisation de tâches nécessitant une concentration soutenue. C’est un facteur générateur de fatigue mentale.
Problème d’équilibre vie personnelle / vie professionnelle : la disponibilité permanente provoquée par l’accès aux emails sur les smartphones, même en dehors des heures de travail, nuit à l’équilibre et augmente le risque d’épuisement professionnel.
Problème de sommeil : la gestion des emails tard dans la soirée, ou tôt le matin, peut perturber les habitudes de sommeil. Un sommeil de mauvaise qualité est un autre facteur d’augmentation du stress et de l’anxiété.
Problème de perte de contrôle : ne pas pouvoir gérer efficacement sa boîte de réception peut donner un sentiment de perte de contrôle, ceci contribue toujours plus au stress et à l’anxiété.
Pour atténuer ces effets, les entreprises devraient proposer et mettre en place des stratégies de gestion des emails : définir de plages horaires spécifiques d’émissions / réceptions ; former aux outils associés aux boites mails qui ne sont ni connus, ni maîtrisés, ni utilisés ; encourager une culture de travail qui respecte les limites personnelles et professionnelles ; proposer des systèmes d’organisation des boites mails ; encourager la désactivation des notifications ; etc.
Au niveau individuel, je conseille fortement de réfléchir à sa propre organisation en appliquant quelques règles simples.
Ne jamais traiter ses emails au fil de l’eau. Bloquer des plages horaires dans son agenda en fonction de sa propre chronobiologie pour gérer sa boite mail.
Apprivoiser la règle qu’un e-mail ne doit être ouvert qu’une seule fois avec seulement trois actions possibles : 1/ A la corbeille sans même l’ouvrir ; 2/ Réponse immédiate et courte pour les décisions du quotidien (oui ; non ; voir avec Intel ; dossier à revoir ; mettre à l’ordre du jour de notre prochain échange ; etc.…) ; 3/ Détruire l’email lu ou le classer dans un système d’archive organisée ; si cet email nécessite un temps de travail particulier, le mettre dans une boite « à travailler ».
Ne jamais avoir plus d’une page écran d’e-mails dans sa boite de réception. Rien de pire pour le stress que 293 emails en ligne… Si la boite d’emails est bien rangée, c’est comme un environnement propre, c’est rassurant.
Ces règles sont simples mais difficiles à mettre en place, car les habitudes sont tellement ancrées et le flux tellement important, qu’il faut déployer une énergie « de dingue » pour reprendre et garder le contrôle de sa boîte mail. L’enjeu est important puisqu’il s’agit de ne pas devenir fou ou de devenir esclave d’une machine !
Au-delà des e-mails
Pour rester maître de son temps au quotidien et protéger son intelligence, je propose d’autres clés.
Couper tous les bips et autres notifications de toutes les applications installées sur son ordinateur, tablette et smart phone. La réaction au bip est l’aliénation assurée de la liberté et de l’intelligence. Et ne vous inquiétez pas, si vous loupez l’urgence absolue au sein des urgences prioritaires de la liste des urgences du jour… l’info va vite vous revenir !
Garder un seul moyen d’alerte pour les urgences absolues. Avec mon comité de direction, c’était le SMS. Définissez le niveau d’urgence absolue (mort d’homme, attentat, contrat du siècle perdu ou gagné, …).
Gérer vos flux en associant chaque canal à un environnement spécifique. Par exemple : SMS = urgence ; WhatsApp = famille, amis ; Telegram = boucle professionnelle.
Mettre son téléphone sur silence la nuit ; le sommeil est une clé de l’intelligence. Utiliser les subtilités des paramètres des outils de communication : quelques contacts clés peuvent être paramétrés pour sonner même si le téléphone est sur silence.
Assumez de vraies vacances et coupures.
Je propose deux clés pour garder son intelligence dans le temps long.
Protéger une ou deux fois par an un temps « stratégique » en vous isolant dans un endroit inspirant pour simplement laisser votre cerveau errer et se reposer. Cette errance dans un environnement différent, loin du quotidien permet une mise en ordre des idées, une créativité nouvelle et un tri des priorités. Cette évasion permet d’être intelligent quelques jours pour travailler efficacement tous les autres.
Prendre des vacances, pas celles d’une semaine où l’esprit reste toujours connecté, celles de deux à trois semaines qui permettent vraiment de se ressourcer physiquement et mentalement. Cela se prépare avec son équipe, cela demande d’avoir un vrai numéro 2 et cela s’organise longtemps en amont.
Conclusion
Ce n’est pas à la machine, ou à un système, d’imposer à un cadre, et encore moins à un dirigeant, sa façon de travailler. Il doit impérativement garder et entretenir sa liberté d’action créative.
À un moment où les années de travail s’annoncent plus nombreuses, où le business est toujours plus intense, où les crises se succèdent, le manager doit être un marathonien. Pour tenir la distance physiquement et mentalement, il faut savoir se reposer et se protéger. Ceci passe par une vraie réflexion sur la déconnexion et l’organisation personnelle. À chacun, suivant ses propres rythmes, de trouver dans son quotidien son moyen de respiration lui permettant de rester lucide : sport, promenade, lecture, musique, …. C’est a priori facile à écrire, mais, en observant autour de moi, cela ne semble pas si facile à faire tant la majorité se laisse aspirer par les vortex du quotidien. Si c’est votre cas, posez-vous et réfléchissez avant de brûler de l’intérieur.
Michel MATHIEU
Le 17 octobre 2025
Pour mémoire, nous avons traité dans les quatre articles précédents de cette série, d’abord, l’apport des grands champions et du monde du sport à la prise de conscience des enjeux de la santé mentale ; puis nous avons fait une synthèse de ce que la science nous a apporté depuis 50 ans ; cela nous ensuite permis de comprendre, alors que ce sujet n’existait pas il y a 100 ou 150 ans, pourquoi est-il devenu aussi prégnant. Enfin, nous avons présenté les outils actuels pour prévenir et agir sur ce sujet.
[1] Disponible sur Amazon.