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Boeing – Défis et espoir 2025

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En septembre 2024, je publiais le livre Cash & Crash – Boeing, autopsie d’une chute[1]. Ce livre propose une analyse des origines de la crise que traverse le groupe Boeing après le crash de deux de ses 737 Max en 2018/19. Il incite également à la réflexion sur la stratégie et le management d’entreprise. Six ans de crise, c’est long, très long, et l’on s’interroge toujours sur le moment où Boeing va entrevoir la sortie du tunnel. Ceux qui ont l’expérience des crises savent que, même au fond du trou, il y a souvent plus profond. Ce 10e article sur le cas Boeing fait le point sur cette saga sans fin de l’avionneur américain et trace ses enjeux de 2025. 

Derniers événements

Début 2024, de nombreux incidents révèlent au grand public les problèmes majeurs de sécurité auxquels le groupe Boeing est confronté depuis 2019. On se souvient, en particulier, de ce panneau de porte qui se détache d’un Boeing 737 MAX en plein vol peu après le décollage. En milieu d’année, Boeing est mis sous tutelle par la FAA (l’agence fédérale de contrôle de l’aviation).  Cette décision inédite souligne l’incapacité de Boeing à trouver les solutions seul ; c’est aussi le signe de la perte de confiance de l’administration américaine envers Boeing qui depuis cinq ans promet, promet, promet, sans jamais apporter la moindre preuve d’un début de redressement. 

Un nouveau PDG est nommé en août : Robert Kelly ORTBERG.

D’août à mi-octobre 2024, la grève massive de 33.000 travailleurs paralyse deux des usines les plus importantes de Boeing et met à l’arrêt complet la production des modèles 737 MAX et 777, les deux fleurons de la gamme. Cette grève coûte des milliards à l’entreprise, elle met en évidence des tensions profondes concernant les salaires et les conditions de travail (plan sociaux à répétition ; gel des salaires depuis cinq ans ; remise en cause des accords sur les pensions de retraite ; …). Après deux mois de grève et un premier accord négocié par les syndicats, mais refusé par la base, la direction de Boeing accepte 95% des revendications. 

La reprise en main des processus industriels sous contrôle de la FAA, provoque une réduction drastique des cadences de production. Boeing ne livre en 2024 que 348 avions commerciaux (contre 528 en 2023 et 800 avant la crise). De son coté, Airbus livre 766 avions, chiffre néanmoins inférieur à l’objectif de 780 unités ; la difficulté de l’européen réside depuis le Covid dans sa capacité à monter en cadence ses chaines de montage et celle de ses sous-traitants.

Pertes abyssales en 2024

Ces défis sociaux, opérationnels et incidents permanents de sécurité provoquent des pertes colossales en 2024 pour le groupe Boeing. L’entreprise publie fin janvier 2025 un déficit de 11,8 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 68 milliards de dollars. Ces résultats 2024 désastreux sont du même niveau que ceux de 2020 lorsque l’industrie aéronautique était à l’arrêt en raison de la pandémie. En cinq ans, Boeing a perdu plus de 35 milliards de dollars [2]  et autant de cash.

En regardant en détail, on s’aperçoit que le problème n’est pas uniquement concentré sur la branche des avions commerciaux. La branche défense de Boeing, qui avait été épargnée jusque-là et amortissait les effets de la crise, subit également des pertes importantes en pesant pour 5 milliards dans le total des 11,9 milliards de pertes. Le Pentagone refuse des livraisons à la suite de problèmes de qualité ou de non conformités, mais, le prix des marchés étant fixe, l’inflation ayant été importante au cours des deux dernières années et les programmes prenant du retard, la rentabilité des projets finit par s’effondrer. Boeing n’est bien sûr pas en position de renégocier à la hausse ces marchés. 

En parallèle de ces mauvais résultats, Boeing annonce deux choses :

  • Un nouveau plus de licenciement massif de 10% de l’effectif mondial, soit environ 6.500 personnes. 
  • Une augmentation de capital de 20 milliards de dollars qui permet de faire entrer de l’argent frais dans une trésorerie exsangue.

Attentes pour 2025 

Malgré une année 2024 extrêmement difficile, Boeing aborde 2025 avec un plan de redressement ambitieux. Sous la direction de son nouveau PDG, Kelly Ortberg, l’entreprise se concentre sur des “changements fondamentaux” pour restaurer sa performance et regagner la confiance de ses parties prenantes.

Parmi les mesures attendues, on note le renforcement des processus de sécurité et de qualité, ainsi que la reprise progressive de la production. Le lancement du 777X, initialement prévu pour 2025, est désormais repoussé à 2026. Cette décision est plutôt saine et responsable, elle

permet à Boeing de se concentrer sur la résolution des problèmes actuels avant d’introduire de nouveaux modèles.

D’un point de vue financier, Boeing prévoit recréer un cash-flow (trésorerie) positif au cours du 2è trimestre 2025.

Cependant, il n’y a rien de vraiment nouveau dans les annonces de Boeing et sa volonté de « reconstruire la confiance », de « se concentrer sur les enjeux de sécurité » ou de « rester leader de l’aviation commerciale » (sic!). Le PDG a changé, il a modifié son organigramme, la tutelle de la FAA marque la volonté de la puissance américaine d’aider Boeing mais, si l’on prend un peu de recul, cela fait maintenant cinq ans que nous entendons le même discours et que nous ne voyons pas d’effets concrets. Les questions restent les mêmes :

  • Est-il possible de reconstruire les compétences perdues (voir les derniers articles sur le sujet) ?[3]
  • Boeing peut-il rester un groupe avec quatre métiers aux business modèles aussi différents que l’aviation commerciale, la défense, le spatial et les services (maintenance, formation, pièce détachées, …) ?
  • Comment résister à Space X et E. Musk dans le spatial ?
  • Combien d’année de retard Boeing va-t-il prendre dans l’innovation alors qu’Airbus investit ses profits dans toutes les solutions possibles de décarbonation et que Comac, le Chinois, monte en cadence ?

2025 peut-elle être l’année du rebond ?

Rebond certainement pas, diminution de la crise peut-être. Nous le saurons si :

  • Si les cadences de production et de livraison des avions commerciaux repartent, même doucement, à la hausse.
  • Si les problèmes avec le Pentagone se résolvent.
  • Si le calme social revient.
  • Si des plans de reconstruction des compétences disparues sont présentés et surtout, s’il produisent des effets car pour enseigner de la compétence, il faut la détenir…
  • Si la NASA refait confiance aux fusées de Boeing pour propulser les astronautes en orbite.
  • Si l’objectif de cash-flow positif se concrétise.
  • Enfin, et surtout, si plus aucun incident ou crash, ne vient alimenter tous les doutes que nous avons encore. 

Objectivement, face à tous ces défis, Boeing a, toujours et encore, beaucoup à prouver. 

Michel Mathieu

Doctor of Business Administration 

Le 21 février 2025

Bibliographie

Cette étude longitudinale du cas Boeing est permise grâce à une matière abondante que fournit le monde de l’aéronautique. Les sources sont nombreuses : 

  • de la part de la société Boeing : communiqués de presse, conférences de presse, présentations des résultats trimestriels, site Internet, … ;
  • de la part des autorités diverses impliquées dans le sujet, qu’elles soient américaines ou européennes : rapports de commissions d’enquêtes, auditions publiques, conférences de presse, communiqués, sites Internet, … ;
  • revues spécialisées américaines, analyses d’experts ou de journalistes d’investigation ;
  • les médias classiques qui reprennent les synthèses des agences de presse comme l’AFP ou Reuters.

[1] Disponible sur www.amazon.fr

[2] 2020 : 11,94  md$ – 2021 : 4,2 md$  – 2022 : 5,1 md$ – 2023 : 2,2 md$ – 2024 : 11,9 md$)

[3] On lira aussi avec intérêt sur ce sujet, un article intéressant du Figaro du 22 février 2024 sur cet enjeu de compétence « L’aéronautique au défi de la formation de milliers de recrues ». 


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