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De crise en crise

Et maintenant le coronavirus… Ses principales victimes sont la rationalité et l’intelligence. Il confirme un nouvel état du monde fait de fragilités et auto-générateur de crises de plus en plus violentes et fréquentes. Comment les affronter, survivre et avancer ?

Rien ne nous est épargné !

2017 : Grève à la SNCF. Ces 2 jours, tous les 5 jours, sans train sont loin dans notre mémoire. Nos capacités d’adaptation avaient déjà fait preuve d’une certaine efficacité.

2018 : Les gilets jaunes. Cette crise majeure restera dans l’histoire, elle fut porteuse de questions, de violence, de nouvelles formes de mobilisation et d’une remise en cause durable sur notre fonctionnement démocratique historique.

2019 : Réforme des retraites. Elle déclenche une série de mouvements sociaux et un chaos monstre, en particulier en région parisienne, suite au blocage des transports en commun.

2020 : Le coronavirus.

Ces crises ouvrent de nombreuses questions :

  • Quelles sont les réelles capacités d’adaptation des sociétés en général et de la France en particulier ?
  • Quel avenir pour nos démocraties occidentales face à cette démocratie directe que sont les réseaux sociaux ?
  • Comment retrouver de l’intelligence stratégique dans une société et une collectivité dont l’horizon de pensée est dans le meilleur des cas de quelques mois ?
  • Quelle est la probabilité que les élites et l’establishment installé des démocraties historiques gardent une influence sur les évolutions du monde face à la réapparition des pouvoirs impériaux en Chine, Russie et dans une moindre mesure aux USA ?

Comme si cela ne suffisait pas, la crise du coronavirus ouvre un autre type de question : face aux crises dont la répétition s’accélère qui chaque fois mettent plus en lumière les fragilités de nos sociétés modernes, comment survivre et continuer à avancer ?

Rationalité, où es tu ?

Le coronavirus nous pose aussi la question de la perte de rationalité de notre monde, pour ne pas dire de son intelligence. Quel qu’en soit la dangerosité, le risque de contamination ou son taux de mortalité, les conséquences connues de cette épidémie sur la vie humaine sont sans commune mesure avec les fléaux installés et avec lesquelles le monde vit au quotidien :

  • L’épidémie de SIDA a fait 770.000 morts en 2018 dans le monde ; le nombre de nouvelles contaminations annuelle est estimée à 1,7 million (Source OMS).
  • Le paludisme est à l’origine de 435.000 morts par an. 219 millions de personnes sont infectées avec une vie quotidienne durablement perturbée (Source OMS).
  • Les armes à feu aux USA sont à l’origine de 40.000 morts dont 14.000 morts par homicide et 25.000 par suicide. Les tueries de masse médiatisées ne sont à l’origine que de 400 décès (chiffres 2017).
  • En France, l’alcool est directement impliqué dans 23.000 décès par an par cancer des voies aérodigestives supérieures, par cirrhose ou par mort prématurée liée à l’alcoolodépendance. Si l’on intègre les causes indirectes, le chiffre atteint 40.000 décès.
  • La grippe saisonnière en France affiche un bilan de 7.000 à 13.000 morts suivant les années.
  • Les accidents sur les routes française ont tué 3.239 personnes en 2019 (Ministère de l’intérieur).

A date d’écriture, le 12 mars 2020, les conséquences du corona virus sont les suivantes (AFP – 12 mars 2019) :

  • Dans le monde :     124.101 infections 4.566 décès – 113 pays
  • En Chine :                  80.778 infections 3.158 décès – 61.475 guéries.
  • En France :                  2.281 infections      48 décès

Concernant la Chine, les experts font consensus sur le fait que l’épidémie a passé son pic et que le nombre de contamination journalière est en baisse.

La rationalité pousse à faire les constats suivants :

  • L’épidémie ne durera que quelques mois : elle a 3 mois en Chine et le pic est passé.
  • Le nombre de victimes dans le monde sera à 5 chiffres et 30.000 semblent un extrême.
  • Un tel virus ne fait des victimes que le temps de l’épidémie, pas tous les ans depuis 10, 20, 30 ans ou un siècle.
  • Le profil des victimes est très concentré sur des personnes âgées et déjà atteintes de diverses maladie les affaiblissant.

Une petite crise pour l’homme, un impact géant pour l’humanité

Comparé aux chiffres évoqués plus haut, cette épidémie n’apparait donc pas comme un fléau majeur. Pourtant les conséquences actuelles sont absolument gigantesques sur l’économie :

  • Krack boursier qui dépasse déjà celui de 2018 et dans un temps plus court, le CAC40 a perdu de l’ordre de 30% en un mois et le Dow Jones plus de 20%. Rien n’indique que la chute est terminée.
  • Les lignes aériennes s’arrêtent les unes après les autres, Trump vient d’interdire l’accès du territoire des USA aux européens.
  • Tous les évènements sont annulés : foires, salons, concerts, matchs, … Tout l’écosystème est à l’arrêt (organisateurs, voyagistes, sous-traitants, hôtels, restaurants, taxis, …)
  • Et les mauvaises nouvelles vont s’enchainer comme en 2008 : effondrement du marché automobile, ralentissement de la construction, …
  • À la vue des tensions et violences sociales qui ont éclaté dans des dizaines de pays en 2019, de nouvelles explosions sont prévisibles de la part des populations qui ne peuvent que souffrir de ces situations sans espoir de les comprendre et de les dominer.

Sans rationalité avec le nombre de victime du Corona virus, des centaines de millions de personnes vont être durement impactés dans leur vie quotidienne dans le monde et des millions en France :

  • Dépôts de bilan des PME et petits commerces. Dettes, faillites et drames personnels, disparition de liens sociaux, …
  • Chômages techniques et licenciement dans les grandes entreprises avec leur cohorte de conséquences pour les personnes, …
  • On annonce déjà la disparition d’une dizaine de compagnies aériennes, ce nombre qui me parait très sous-estimé vu la violence de l’impact auquel ce marché est confronté. 100 milliards de revenu en moins déjà annoncés, cela fait combien de pertes d’emploi ?
  • Etc…

Toujours d’un point de vue rationnel, même s’il est clair que les virus du SRAS et H5N1 et les épidémies associées n’ont rien de comparable, force est de constater que la durée de ces précédentes crises fut de quelques mois. L’évolution de l’épidémie actuelle en Chine semble déjà confirmer cette durée de vie limitée.

Alors pourquoi y-a-t-il un écart majeur, gigantesque, entre la rationalité et les conséquences auxquelles on assiste ? Des dizaines de pages, des mois de débats et des centaines de thèses des plus éminents chercheurs ne viendraient pas à bout de la question. Au risque de passer pour le commentateur du café du commerce, je me risque à poser trois éléments :

  • Maladie, épidémie, et que dire du mot pandémie, génèrent une peur profonde au sein de la collectivité (la peste, le choléra, …). Cette peur entame la capacité de jugement.
  • Les politiques ne craignent pas d’être accusé du crash de l’économie mondiale quand l’actualité leur impose de casser leur agenda et de sauter dans un avion pour aller sur le site d’un accident industriel ou d’une dizaine de victimes d’un accident de car scolaire. Ils ont appris de la canicule de 2003…
  • Les dirigeants des grandes entreprises sont aujourd’hui les premiers, avant les politiques, à prendre des mesures non rationnelles d’annulation d’évènements, de déplacements ou de réunions. La pression juridico-sociale qui leur est imposée est telle qu’elle emporte sur leur rationalité, à moins qu’elle ne soit en fait qu’une nouvelle rationalité.

Quel que soit où se déclenche l’effet domino, il y a effet domino. Le coronavirus fera malheureusement quelques milliers de morts, peut-être quelques dizaines de milliers de morts dans le monde. Par contre, il fera des centaines de millions de victimes de la crise économique qu’aucune OMS est aujourd’hui en capacité de juguler. La bonne question ne serait pas de savoir comment juguler la crise économique mais plutôt de savoir comment ne pas la générer en cédant à des pulsions inconscientes et au tsunami du principe de précaution et de la judiciarisation extrême.

Des fragilités pas assumées

Comme il est impossible de faire la guerre sans faire de morts, de rouler en voiture sans risque d’accident, de ne pas avoir une épidémie de grippe l’hiver… Comme il est tout aussi impossible d’avoir un monde parfait tout autant que de formuler une rationalité sans être accusé, au mieux de cynisme, au pire d’être jugé responsable des victimes naturelles de la vie sur terre, il est malheureusement nécessaire d’aborder la question différemment.

Au rythme auquel nous avançons, l’économie s’arrêtera demain pour un oui ou pour un non : un volcan ici, une crise migratoire là, une catastrophe climatique ailleurs ou pour quelques ingénieurs qui auront falsifié un taux de carbone ou oublié la formation des pilotes pour un nouvel avion. Nous ne sommes plus très loin qu’un avis de tempête de printemps déclenche l’interdiction de circuler. Nul doute que la créativité du monde saura nous inventer de nouvelles situations que nous n’osons même pas imaginer, c’est tout le propre d’une crise.

Même si l’on avait envie de déprimer et pleurer sur ce nouvel état du monde, sa force est telle qu’il est inutile de lutter. Il faut avancer et regarder, loin, devant :

  • Les crises vont se succéder, c’est un nouveau modèle, le monde d’aujourd’hui se les auto-génère.
  • Les conséquences seront toujours plus violentes.
  • Nos rationalités historiques ne peuvent répondre à ces nouvelles situations.
  • Nous devons l’accepter et l’intégrer dans nos fonctionnements personnels et professionnels.
  • Nous devons revoir nos chaines de valeurs dans les entreprises.
  • Nous devons (ré)intégrer l’idée de se (re)faire des réserves (finance, stock, …) pour passer les moments difficiles.
  • Nous devons construire des organisations flexibles comme le roseau et des consciences claires et agiles comme l’eau d’un torrent.

En attendant, protégez-vous, vu le faible risque d’être infecté et d’en mourir, ce serait trop bête que vous soyez confinés !

Paris, le 12 mars 2020

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